Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
19 juillet 2010 1 19 /07 /juillet /2010 16:18

 

 

Ceci est l’histoire de Jodi. Thriller politico-érotique étatsunien, virtuel et mystique ? Pulp magazine en noir et blanc, snuff-movie ou BD japonaise ? Avec quelques noms-clefs. Pour surfer. Sur fond de bière et de whisky, de blues et de sundama, de hip-hop et de house, de crack et d’ecstacy, de trash music et de gangsta rap. Entre tout et rien, amour et perversité, clip et farce, puzzle et jeu de piste, manifeste et mascarade, cuistrerie et piraterie, collage et façadisme, branlette et muflerie, érotisme juvénile et délinquance sénile, stéréotypes et chausse-trapes, enchaînements funestes et contradictions grossières, aphasie et logorrhée, chewing-gum et pied de nez, lieux communs et faux-semblants, outrance belge et brosse à dent chinoise, désuétude et prémonition, conte noir et roman de fées, parodie et tragédie, cartoon et wildlife, strip-tease amateur et apparition mariale.
 

 

Redneck. Duke Nukem 3D. Soldier of Fortune. Carmageddon II. Street Fighter. Mortal Kombat. Couillus, sanguins, huilés, bronzés, briqués, gominés et bodybuildés, carrés d'épaule et de mâchoire, entraînés au maniement des armes à feu et des chiens d'attaque, les flics de Gotham City adorent les jeux vidéo. Counterstrike. Swat 3 Elit. Rogue Spear. Tenant fermement en main leur joystick, tronçonnant leurs adversaires et les incendiant, effectuant un décollage impeccable, allumant leur gyrophare, ordonnant aux véhicules suspects de se mettre sur le côté, éclatant la tête des salopards et leur explosant les tripes, faisant hurler leur sirène, surveillant les cadrans du cockpit, maîtrisant parfaitement les différents paramètres de vol, interpellant les suspects en fonction de leur âge, de leur sexe, de leur race et de leur religion, les plaquant contre un mur et leur écartant les jambes

- Catch them all !

et braquant leur flingue, en état de légitime défense, sur un homme qui  sort un portefeuille de sa poche pour leur montrer ses papiers

- Beat them all !

et ripostant aussitôt et vidant leur chargeur et tirant quarante et une balles patriotiques dans la peau d'Amadou Diallo, de Salah al-Din Yusuf et de Timûr le Boîteux

- Shoot'm up !

et interrogeant les morts

- L'hypothèse d'un suicide n'est pas à exclure !

et glissant un flingue ou un couteau dans la main de leurs victimes

- Démontrez votre innocence ! Rien n'indique que vous n'êtes pas coupable !

et prétendant avoir été menacés et se targuant d'avoir sauvé la Libre Amérique de l'abominable marée rouge ou de l’horrible peste islamique et s'attribuant des jours de congé exceptionnels pour performances extraordinaires. Se déhanchant, roulant de l'épaule et balançant du cul, portant leur badge en sautoir, jouant avec leur matraque, balisant les lieux des meurtres et des accidents, tendant des rubans de plastique jaune, prenant des notes, marquant les emplacements des indices. Lisant leur journal tandis qu'un cireur de bottines leur suce la bite. Remontant leur pantalon, bouclant leur ceinturon, chiquant du chewing-gum. Têtes carrées. Torses bombés. Biceps saillants. Démarches pesantes. Fesses moulées. Visages aspergés au brumisateur. Hanches flanquées des joujoux de l'ardent défenseur de la Libre Entreprise, du Libre Echange et de la Démocratie du Marché. Pistolets Glock 9 mm. Chargeurs de 16 cartouches. Gilets pare-balles, boucliers et casques à visière, sprays au poivre. Salles de musculation et clubs de tirs. Garbage-food. Machines à café et distributeurs de Coke. Caméras vidéo vissées sur le pare-brise des voitures. PC et bases de données. Dossiers s'entassant sur les tablettes de fenêtre. Post-it collés sur les écrans. Fax, mails et pin-up épinglés sur les murs. Feuilles de papier débordant des tiroirs et des armoires métalliques. Cages à bêtes fauves. Salles d'interrogatoire équipées de miroirs sans tain. Menottes de pied fixées au sol avec une chaîne. Inquisiteurs, délateurs et témoins planqués dans des pièces attenantes. Gadgets électroniques déformant les voix pour les rendre méconnaissables. Hélicoptères équipés de capteurs de vibrations suspectes, de radars et d'appareils mesurant la concentration de gaz carbonique dans les douches et les toilettes publiques à moitié bouchées, de détecteurs de sources d'énergie thermique et de fusils d'écoute à longue portée, survolant les parcs municipaux, les toits d'immeubles, les terrains de basket bétonnés et grillagés, les bâtiments squattés, les décharges clandestines, les lieux de culte, les plages mazoutées, les parkings en plein air, les sous-sols, les peep-shows et les confessionnaux, les esplanades, les atriums et les chambres à coucher, à la recherche d'activités anti-américaines. Caméras de surveillance installées dans les nichoirs. Courtoisie. Professionnalisme. Respect.

Jodi n'aime pas.

Les écureuils sont pacifiques et les moineaux, les pigeons, les loosers somnolent. Les allées des squares sont recouvertes de bitume. Des voitures de police lentement les parcourent, lèvent au projecteur les couples et les glandeurs, traquent les dealers et les métèques, font chier les groupes de jeunes. Des flics prélèvent leur dîme sur les travestis, harponnent les putes et les contraignent à des relations bucco-génitales sur la banquette arrière des bagnoles de patrouille.

Jodi n'aime pas.

Des dinks jouent le Nasdaq contre le Dow Jones, échangent des informations sur les fonds de retraite les plus performants et sur les plus-values escomptées par les détenteurs de stock-options que les entreprises distribuent à leurs cadres supérieurs pour en doper la motivation et l'ardeur au travail, lèchent l'anus des managers et des actionnaires dominants, font du jogging dans Central Park, s'envoient des SMS, surfent sur Internet, parlent de lieux et de personnes magiques et

- Absolutely fabulous !

de vêtements, de restaurants et d'évènements à la mode, du show Jackass, d'orgasmes assistés par ordinateur, d'un nouveau bowling 28 pistes avec boules fluos, de camionnettes et de véhicules tout terrain, d'un match de basket-ball, de base-ball, de football, de boxe ou de catch, d'un tournoi de golf ou de tennis, du championnat de hockey sur glace de la division des All Stars et de la dernière acquisition de l'équipe des Detroit Red Wings. Puis dans une même extase regardent ABC, NBC, CBS, CNN ou Fox News raconter à la Nation, angoissée, les exploits commandités des forces spéciales en Iraq ou au Ghana, des bombardiers humanitaires au Yemen ou en Afghanistan et des centres culturels de la liberté d'entreprise et du progrès technologique en Colombie ou au Congo, rêvent, planent et

- Show Your American Patriotism ! One America ! United we Stand !

Support USA Troops !

mouillent et lancent leur photo sur le site Hot or not et slurpent des crèmes à la glace et siphonnent des milk-shakes et se branchent sur Food Network et se réchauffent au micro-ondes des plats préparés et sont vachement fiers d’être Etatsuniens.

Jodi n'aime pas.

La télévision pense, les chaînes de grands magasins pensent, les fonds de pension pensent, les journaux pensent, les flics proactifs et les putains racoleuses pensent. Les évangélistes du développement personnel et les pasteurs du management by goal hurlent la Sainte Parole devant les micros et les caméras, recueillent les témoignages de fidèles et de personnes ayant fait l'expérience du dénuement extrême, rapportent les récits de guérisons surprenantes et de réussites exceptionnelles, rendent grâce au Seigneur, empoignent Satan par les cheveux et lui frappent la tête sur le sol, lui arrachent les ongles et lui écrasent les couilles, investissent le créneau de la compassion humanitaire, financent des émotions grandioses, mettent en spectacle des existences bouleversantes et des rédemptions exemplaires, font circuler la corbeille pour ramasser les chèques et décrocher le plus de dollars possible. La communauté religieuse Exodus lance une campagne publicitaire à la TV et engage les Gays, les Cubains et les Musulmans à suivre une thérapie pour redevenir normaux. Travaillant pour un monde de Commerce et de Liberté, le PDG de l'entreprise la plus riche et la plus puissante de la galaxie, ancien gouverneur, assure la diffusion commerciale de son bonheur télégénique conjugal, serre des mains, signe des autographes, embrasse des babys, participe à un repas de charité en compagnie de Liz Taylor, de Madonna, de JLo, de Pamela Anderson et de Britney Spears, se lève de bonne heure pour chanter au temple, invite ses proches collaborateurs à se joindre à son étude quotidienne de la Bible. S'attribuant la mission de sauver le globe de la destruction, de maîtriser les ressources pétrolières du monde entier et d'assurer le triomphe de la Démocratie du Marché, le tireur fou de Washington prêche de nouvelles guerres saintes contre les Etats voyous et les peuples de gueux arrogants, décide d'étrangler Cuba, de conquérir le Vietnam, d'envahir la Grenade et l'Afghanistan, d’enfermer les Talibans dans des cages à bêtes fauves, de bombarder Tripoli et la ville sainte de Kerbala, de massacrer l'Iraq à l’aide d’armes de destruction massives, de terroriser les Serbes, de débarquer à Panama, d'investir les Philippines, de surfer en Somalie, de détruire la Palestine, de renverser Chavez et Arafat, d’exploser la gueule à Saddam Hussein, d'assassiner Allende, fusille, mitraille, débusque, poursuit, abat, libère ses chiens d'attaque, élève des virus inédits dans des ranchs biologiques du Texas et les relâche dans des zones marécageuses menacées par l'islam et le socialisme, expérimente des pointes d'obus à l'uranium appauvri capables de perforer les blindages les plus résistants, sauve beaucoup de vies étatsuniennes, accouple des marchés particulièrement prometteurs, parachute des surplus alimentaires avariés et des médicaments antidiarrhéiques, largue des bombes antipersonnel et des prothèses de jambe. Au sommet de son art, souhaitant marquer son règne par quelque action d'éclat, développant un concept stratégique original, à la veille d'un vote sur sa destitution, invoquant la légitime défense, tous les opérateurs boursiers priant avec lui, le Shérif Suprême consulte la carte des cigares et des digestifs, effectue un parcours de golf pour se remettre les idées en place, part à la chasse aux putes avec ses chiens de garde, réquisitionne une fausse blonde du Midwest aux mamelles siliconées et à la cambrure ravageuse, se fait tripoter le lézard par Trixy, Mandy et

- Kiss my fuzzy little butt !

Ann-Wendy

- Fuck my ass !

élimine son stress, libère son énergie, décharge son agressivité, explose, disjoncte, ressuscite, lance des missiles de croisière Tomahawk sur Belgrade, Kandahar ou Bagdad et, aussitôt, l'indice Dow-Jones regagne 114 points. Les patriotes et les chrétiens regardent un film porno sur leur magnétoscope, se doigtent avec la partie creuse d'une cuiller à café, se branlent dans des ronds de serviette, se sucent, se lèchent, s'enculent, s'entubent, grignotent du pop-corn ou des cacahuètes, bouffent des hamburgers et des hot dogs arrosés de ketchup, de moutarde et de Tabasco.

Jodi n'aime pas.

Une plage, c'est privé. Red necks, T-shirts, bermudas à fleurs et baskets. Frigos portatifs. On éprouve de l'aversion pour les Jaunes, les Noirs et les Hispaniques. On exècre les Sioux. On tient les Arabes en horreur. On déteste les Juifs. On hait les Musulmans. On abhorre les Cheyennes. On préconise la libéralisation totale de l'achat, de la vente et du port d'armes. On affirme le droit constitutionnel des actionnaires et des propriétaires à l'autodéfense armée. On tolère les Irlandais, les Polonais, les Espagnols et les Italiens, les adorateurs de la Vierge et les zélateurs du Pape. On se fait pétrir la nuque, les épaules et le dos par des Hollandaises, des Tchèques, des Slovènes, des Bulgares, des Danoises, des Suédoises ou des Finlandaises pour se détendre, se stimuler et apaiser ses douleurs lombaires. On met en garde contre la profusion de Rouges, d'Islamistes, de Bougnouls, de dealers et de vendeurs de tickets au marché noir sur les trottoirs de Times Square, à l'entrée du Madison Square Garden et à proximité des toilettes publiques de Grand Central. On se fait un devoir civique de dénoncer les récalcitrants et les contestataires devant la Commission des activités anti-américaines. On forme le 911 et on signale à l'autorité compétente tout mécréant qui sollicite un autographe d'un sportif cubain ou qui propose de régler à l'amiable un litige de voisinage l'opposant à un diplomate libyen ou coréen. On reste entre gens bien, entre Blancs, entre patriotes, entre chrétiens, entre bons citoyens, on écoute de la country music pour truckers, on porte des bottes de cow-boy d’opérette, on déguise ses tentatives de suicide en cures de désintoxication, on tire sur tout ce qui bouge, on boit de la bière en boîte, réfrigérée.

Jodi n'aime pas.

Et les cactus artificiels, explique-t-on, ne blessent personne, ne piquent plus, ne mangent pas, ne boivent pas, ne baisent pas et ne meurent jamais. Les poulets élevés sans toucher le sol, les seins en caoutchouc, les aisselles ignifugées, les pénis emballés sous vide dans des capotes parfumées, les couches-culottes en fibres synthétiques imperméables et les oeillets fabriqués en usine n'émettent plus de phéromones et n'exhalent pas d'odeurs inconvenantes.

Jodi n'aime pas.

On expulse la pauvreté, on l'interpelle, on lui demande ses titres et ses droits, on lui dresse des procès-verbaux, on la met en examen, on la traduit devant les tribunaux, on l’enferme dans un cachot de dégrisement ou dans les toilettes du commissariat n°70. On la refoule, on la rase, on la parfume, on la streptomycine. On privatise les écoles, les hôpitaux, les bibliothèques municipales, les jardins publics et les potagers communautaires. On réclame le paiement d'un droit d'entrée dans les urinoirs et les cimetières. On aplatit les bidonvilles. On enterre les loosers et les rats sous les quais de Grand Central et dans les catacombes du métro. On bâtit des immeubles de bureaux pré-câblés, aux espaces modulables, aux larges baies vitrées, aux portes automatiques s'ouvrant à l'aide de cartes magnétiques, autour d'un atrium de terrasses climatisées, de fontaines à boire éclairées par des luminaires répondant au son de la voix, de jardins et de puits de lumière, de rivières sèches alternant ilôts de graminées et massifs d'arbustes bas, de cascades dont le bruit de ruissellement est à peine couvert par quelques discrètes conversations de bizzness, de murs d'eau sur lesquels des images sont projetées, de bassins verdurisés dans lesquels évoluent de gros poissons rouges génétiquement modifiés, de rues intérieures bordées de ficus de Californie et de plantes tropicales airconditionnées, de reproductions en stuc d'oeuvres d'art cotées, de boutiques branchées et de restaurants végétariens à l'ambiance feutrée, d'aires de jeux pour les bambins, d'espaces de lecture et de détente, d'ascenseurs panoramiques menant aux niveaux supérieurs. On expulse les peep-shows, les sexodromes et les sex-shops, les boutiques de lingerie coquine et les cinémas pornos. On projette d'installer un vaste complexe de loisirs financé par Mickey Mouse. Et, aussitôt, la misère sera conjurée. Et disparaîtront le chômage endémique, la discrimination raciale, le décrochage scolaire, les violences conjugales, les hôpitaux poubelles, l'alcoolisme, les tournantes et la prostitution, la crack, la sras, le sida, la tuberculose, les saisies, les expulsions, les hold-up, les cafards, la colère et le désespoir. On abat un obstétricien pratiquant l'IVG dans l'Etat de New York. On condamne Jack Kevorkian à une lourde peine de prison pour avoir aidé Thomas Youk, 52 ans, souffrant de sclérose latérale amyotrophique, à mettre fin à ses jours.

Jodi n'aime pas.

Et dans chaque appartement, dans chaque cuisine, le même chat gras, épais, lourd, obèse, tatoué, baptisé, stérilisé, narcissique, agressif, psychotique, mange d'un même air dégoûté, dans la même écuelle, une même ration de pâtée humide pour animaux de compagnie. Et souffre aussi de diabète et d'arthrite. Et de problèmes cardio-vasculaires. Et cutanés. Et urinaires.

Jodi préfère les rats.


  Double income, no kids

Partager cet article
Repost0

commentaires

Profil



 Didier de Lannoy
 delannoydidier@gmail.com



Après avoir, au Congo, mis le feu à tous ses manuscrits comme on brûlerait ses vaisseaux, Didier de Lannoy, en rentrant de son très long séjour africain, s’est dit qu’il était temps désormais de retrouver le chemin de l’écriture.
Après quelques nouvelles publiées dans diverses revues et un premier roman dont le titre provocateur (« Le cul de ma femme mariée ») prouvait que son auteur n’avait pas l’intention de rejoindre le club des écrivains bien pensants, Didier de Lannoy rédigea une première version de « Jodi, toute la nuit » qui fut adaptée à la RTBF par Violaine de Villers. Lors de cette expérience radiophonique, la comédienne Yolande Moreau interpréta le personnage de Jodi que l’on retrouve avec infiniment de plaisir dans ce roman étrange à plusieurs voix dont le style semble s’improviser au rythme d’un blues obsédant...

Alain Brezault

Recherche

Archives