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19 juillet 2010 1 19 /07 /juillet /2010 16:28

  

 

  2-3

 

   Ils sont six.

   Cinq crapules et une frangine.

   -Pffft ! Pffft !

   Un des voyous se détache du groupe. Un blond gominé. Complètement ravagé.

   Shit, acide, ecstasy, crack, coke ou héro ?

   Fumeux, baveux, pâteux.

 Chafouin.

   La voix chuintante. Confondant le ch'azz et la chasse, le Ch'apon et le chapon.

   -What'ch' yur name ?

   Le nez cassé, les dents déchaussées, un sourcil plus haut que l'autre.

   Les lunettes bleues, les cheveux oxygénés, les jeans extra-larges et le bomber clouté. La braguette entrouverte. Un trousseau de clefs attaché à la ceinture.

 

   Le type renifle et se dandine, mâche du chewing-gum, adresse la parole à Manya.

   Lui, y ch'appelle Ch'immy, comme tout le monde, et toi, ch'est comment déch'à ? Et d'où tu viens comme ch'a ? Et comment ch'est qu'on y va dans ch'trou du cul de bled de dingues dont aucun bon chrétien n'a ch'amais entendu parler ? Ch'i on doit prendre un putain de train à Grand Ch'entral ? En direc'ch'ion d'où ch'a ?

   Les autres entourent Manya, se dandinent et vacillent sur leurs jambes.

   Le chef de meute, c'est lui, Jimmy.

   L'intellectuel, l'idéologue et le stratège des combats de rues. Trapu, bandé, la caboche en triangle, les petits yeux sournois. Tripotant compulsivement son piercing à l'oreille, se caressant les couilles, se décoinçant les roustons pour préserver la qualité de ses spermatozoïdes blancs étatsuniens. Protestants. Intégristes. Isolationnistes.

   Réglant les querelles de hiérarchie et les rivalités amoureuses au sein du groupe, les conflits territoriaux avec les autres bandes, les problèmes de voisinage et le partage du marché.

   Les autres voyous regardent, interrogent

   - Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?

   écoutent, approuvent, obéissent, exécutent.

 

   La frangine se relève, s'énerve, s'insurge, prend feu, s'emballe. Elle invective Jimmy. Elle attend ses klottes et ses seins lui font mal. Elle sort ses griffes. Elle gronde.

   - Eh, l'artiste, qu'est-ce que t'attends pour lui faire son affaire à c't’enfoiré de vicelard de fauché de merde ! Qu'est-ce que t'attends pour lui donner ce qu'il mérite !

   - La ferme !

   - Non, mais t'as pas vu son regard, Honey ! Tu n’vois pas qu'y m'manque de respect ? Fais donc quelque chose !

   - La ferme, connach'e !

   Deux chiens collés, à bout de souffle, la langue pendante et du miel plein les yeux. Jimmy leur botte le train. Ne supportant pas les coucheries gratuites des cabots sans macs. Ni les roucoulements des pigeons sauvages.

   - Pffft ! Mais tu vois même pas qu'y te manque de respect, l'artiste ? Et tu t'rends même pas compte qu'y s’fout de ta gueule ? Fais quelque chose, Honey !

   - La ferme, ch'te dis, connach'e !

   - Règle-lui son compte, Jimmy ! Casse-lui la gueule !

   - Ecrach'e, veux-tu ! Y a déch'a un putain d'mec qui m'cherche dans tout l'quartier avec la rach’e. Un anch’ien footballeur de mes couilles ! Et qui n'pench'e à rien d'autre qu'à m’cach’er la gueule ou m'faire la peau, à ch'qu'il paraît ...

   - Descends-le, Honey ! Crève-le c'te minable ! Bute-le ! Eclate-lui la tête ! s'excite la frangine.

   - T'es complètement déréglée ou quoi, Little Mary ? T'as tes périodes tous les ch’ours de la ch’emaine ou quoi ? Y a  ch’e putain de Bill Parker qui ratich’e tout l’quartier à ma recherche et toi, connach'e, tu voudrais que ch'me foute un nouveau ch'inge sur le dos ? Tu t'prends pour la pute de l'année ou quoi ?

 

 

   Ch'ui-là, l’trou du cul de rouquin boutonneux, l'étrangleur au lach'et de cuir, ch'était Don. Un ec'ch'-braqueur de banque, un ec'ch'-taulard, un ec'ch'-docker, un ec'ch'-vendeur de pich'ch'a, un ec'ch'-pilote d'ach'ench'eur, un ec'ch'-promeneur de chiens de ch'alauds de friqués, un ec'ch'-tac'ch'i boy, un ec'ch'-conducteur de Ch'chool Bus à Boch'ton. Un foutu connard de merde, quoi ! Mais un ch'acré putain d’champion de bras de fer ! Ayant même gagné une médaille de bronch’e à un Grand Prix au Canada ! Au  bras gauche.

   Et ch'elui-ci, ch'uste à côté, ch’est Tim-le-Connard. Ch’e bulldoch'er-débardeur avec un vich'ach'e de bébé, quoi ! Ch'lui à la boule à ch'éro surmontée d'une crête de coq couverte d'une couche de laque, quoi ! Ch'a mère l'avait conch'u par dich'trac'ch'ion, ch'ur un putain de plateau de tournach'e de films pornos. Et puis elle l'avait chié ch'ous X. Et ch'a n'avait pas manqué de laich'er des trach'es : y poch’ait tout le temps des questions ch’tupides et y n’comprenait ch’amais rien à rien !

   Les deux derniers là-bas, ch'étaient des frères ch'umeaux et des putains de branleurs, Adam et Richard ! Y ne comptaient pour rien. On n'avait rien à en dire. On n'avait rien à leur dire. Y n'ec'ch'ich'taient même pas.

   Lui, Ch'immy, il aurait bien voulu être un trou du cul de peintre à la mode ou un ch'culpteur ou un much'ich'ien ou quelque choch'e com’ch'a. Un putain d'artich'te, quoi ! Mais trop de concurrench'e, y n’pouvait pas perch'er.

   Elle, ch'était Little Mary, la mère de Babe. Ch'était la groupie de la bande, elle v'nait de décrocher le cinquième prix d'un putain de concours de tatouach'e intime organich'é par une boîte d'équipements ch'portifs pour petites et moyennes entreprich'es érotiques et de putains de gadgets ch'alach'es dech'tinés aux amateurs de bondach'e et autres obch'édés de merde.

   Lui-même, y ch'était fait tatouer un trou du cul de poignard ch'ur la bite, mais y n'avait pas partich'ipé à la compétich'ion.

   Elle, Little Mary, elle avait été dévierch'ée et ench'eintée à l'âch'e de douch'e ans par Couch'in Gabe, un trou du cul d'anch'ien combattant d’la première guerre du Golfe qui l'avait ch'uivie dans un champ de maïs pour lui apporter du courrier, qu'il dich'ait. Y voulait ch'e farch'ir un tendron et avait mis au point tout un putain de ch'tratach'ème pour ch'e l'envoyer gratos et lui avait bombé la guérite vite fait.

   A treich'e ans, un ch'oir de Noël, elle avait vidé ch'on ch'ac dans une granch'e ou dans une écurie et elle avait r'filé la paternité de ch'on putain de moutard à Bon Papa Ch'oe, un vieux ch’alaud qui lui offrait des fringues fluo, des p'tites culottes affriolantes de fine dentelle noire ou de nylon roch'e chair et des corch'ages vert ach'ide.

   A quinch'e ans et demi, mal tringlée par des péqu'nots pour des boutons de braguette en alu, elle plaquait ch'es culs-terreux et débarquait à Gotham City pour y trouver ch'a deuch'ième chanch'e et faire fructifier ch'on p'tit capital.  

   - Sssst !

   Et immédiatement tout avait bien marché pour elle. A seich'e ans, déch'à, elle gagnait un trou du cul de concours de t-ch'irts mouillés. A dich'huit ans, ch'était la foutue vedette d'un putain de défilé de coiffures ec'ch'otiques pour piloch'ités pubiennes. Coupe Afro, toich'on oc'ch'ygénée et quelques mèches trèch'ées en dreadlock, teintes au minium ou au bleu de méthylène, ch'i ch'e pouvais m'imach'iner !

 

   Ch'était une chouette nana, Little Mary. Une bonne gagneuch'e. Pas bégueule du tout. Ch'achant y faire.

   - Pffft ! se moque la Butt-girl.

   Ayant l’bach'in ch'olide, ch’te dis. Et des rèch'orts dans les fèch'es qui amènent tout de ch'uite le client à ébullich’ion.

   - Pffft ! Pffft ! pouffe-t-elle de rire

   Et l'haleine bouillante. Et les lèvres ch'pongieuch'es. Et une langue de ventilateur. Et un ch'ouffle d'ach'pirateur.

   - Pffft ! Pffft ! Pffft ! continue-t-elle de railler.

   Ch'était la femme de tout le monde, quoi !

   Et ch'est auch'i la femme de ta vie, ch'i tu veux, quand tu veux, où tu veux. Tu n'dois pas te ch'êner, t'as qu'à me d’mander, quoi ! Tu peux même la louer au mois, à la ch'emaine ou à la demi-ch'ournée, on t'fera des prix. Tu peux même la prendre en leach'ing, ch'i ch'a t’branche.

    Moi, ch’'étais Manya, ch'étais un mec fortiche, un ami ch’inch’ère, un allié fidèle, non ? On pouvait compter ch'ur moi dans tous les coups durs, ch’allais ch'ûrement faire tout mon poch'ible pour les aider, non ? Et ch'i, d'accord, ch'avais même pas un trou du cul de billet de ch'ent dollars à leur pach'er, tout de même, vingt dollars, ch’e pouvais pas leur refuch'er ch'a. Ch’e pouvais vraiment pas, quoi !                         

   - Ch'urtout maint'nant qu'on est prech'que beaux-frères, pas vrai ?

 

 

   Que cela vous plaise ou que cela ne vous plaise pas, que vous m’écoutiez ou que vous ne m’écoutiez pas, le gouverneur m'a fait visiter sa résidence officielle.

   Et dans sa résidence, il y avait dix chambres à coucher et dix salles de bains, il y avait trois salons de réception, trois salles à manger et un garage de vingt-cinq boxes.

   Que cela vous plaise ou que cela ne vous plaise pas, il y avait un chenil, une écurie, un héliport et une salle de musique.

   Que cela vous plaise ou que cela ne vous plaise pas, que vous m'écoutiez ou que vous ne m'écoutiez pas, le gouverneur m'a fait visiter sa résidence officielle.

   Vaste et somptueuse.

   Et dans sa résidence officielle, il y avait dix chambres à coucher et dix salles de bains, il y avait trois salons de réception, trois salles à manger et un garage de vingt-cinq boxes.

   Que cela vous plaise ou que cela ne vous plaise pas, il y avait un chenil, une écurie, un héliport et une salle de musique.

 

   Que cela vous plaise ou que cela ne vous plaise pas, que vous soyez homme ou femme, jeune ou vieux, beau ou laid, gros ou mince, riche ou pauvre, cela ne fait aucune différence, l’amour est le même pour tous.

   Et quoi que vous fassiez, où que vous alliez, qui que vous soyez, homme ou femme, jeune ou vieux, beau ou laid, gros ou mince, riche ou pauvre, cela ne fait aucune différence, vous ne pourrez pas échapper à la mort

 

    Que cela vous plaise ou que cela ne vous plaise pas, que vous me croyiez ou que vous ne me croyiez pas, le gouverneur me trouvait sympathique, il m'a fait visiter sa résidence officielle, il m'a présenté sa femme mariée, ses lévriers afghans, ses chevaux arabes, son chat iranien, son administrateur d’entreprises texanes en Iraq, son chef de la police, son télévangéliste, son préparateur physique et son psychanalyste, son conseiller en placements financiers et son bookmaker, son courtier d’assurances et ses lawyers, son attaché de presse, ses griots et ses courtisans, son chirurgien-plasticien et son prothésiste dentaire, ses azalées et ses camélias, ses maîtresses et ses charmantes jeunes filles, ses voitures et son hélicoptère, ses héliotropes et ses philodendrons, il a organisé une party en mon honneur, il a serré des mains en grignotant des bretzels au fromage. Et en suçant son cure-dents.

 

    C'était dans le Sud, il y a longtemps, quand j'étais Blanc.

   Une grille séparait le jour et la nuit, hier et demain, ici et ailleurs.

   Une grille séparait le sable et la mer, le ciel et la terre, le chaud et le froid, le haut et le bas, les rires et les larmes, les hommes et les femmes, les jeunes et les vieux, les beaux et les laids, les gros et les minces, les riches et les pauvres, le bien et le mal, le pénis et le vagin, le réel et le virtuel,  la mort et l’amour.

   Une grille coupait le cimetière en deux.

   Et que personne ne quitte la salle avant la fin de ma chanson.

   Personne.

 

   C'était dans le Sud, il y a longtemps, quand j'étais Blanc, le gouverneur m'a fait visiter sa résidence officielle.

   Vaste et somptueuse.

   Et dans sa résidence, il y avait dix chambres à coucher et dix salles de bains.

   Vastes et somptueuses.

   Il y avait trois salons de réception et trois salles à manger.

   Vastes et somptueux

   Il y avait  un garage de vingt-cinq boxes.

   Vaste et somptueux

   Il y avait un chenil, une écurie, un héliport et une salle de musique.

   Et une salle de musique.

 

   Que cela vous plaise ou que cela ne vous plaise pas, que vous me croyiez ou que vous ne me croyiez pas, le gouverneur me trouvait sympathique, il m'a fait visiter sa résidence officielle.

   Et dans sa résidence, il y avait un chenil, une écurie, un héliport et une salle de musique.

   Et une salle de musique.

 

C'était il y a longtemps, dans le Sud, quand j'étais Blanc.

   Que cela vous plaise ou que cela ne vous plaise pas, que vous m'écoutiez ou que vous ne m'écoutiez pas, le gouverneur m'a fait visiter sa résidence officielle et dans sa résidence il y avait un chenil, une écurie, un héliport et une salle de musique.

   Et une salle de musique.

   Et que personne ne quitte la salle avant la fin de ma chanson.

 

 

 

 

 

 2-4

 

   Linda, c'est la patronne. Linda-patte-folle.

   - J't'emmeerde, p'tit cul !

   Elle a un pied foutu, affecté d’une déformation congénitale, et se déplace en claudiquant. Sourcils froncés. Lèvres boudeuses. Regard mauvais. Tatouage sur l'épaule, près du cou.

   La serveuse, c'est Jodi. Portant à bout de bras un plateau rempli de verres. Donnant un coup d'éponge.

   Linda transgresse hargneusement l’interdiction de fumer en public et d’avorter dans les chiottes décrétée par le connard de nouveau Maire, néoconservateur et prohibitionniste. Et demande à Manya de lui refiler une clope et

   - J't'le rends tout de suite, quoi, merde !

   de lui refiler son foutu briquet à gaz.

   Elle a trente-cinq ans ? Ou plus ?

   - Vingt-sept, ma couille ! J't'emmeeerde !

 

 

   Ch’e n'pouvais  vraiment pas leur refuch'er ch'a. Elle valait bien vingt dollars ch'a putain d'hich'toire à la con, non ?

   Oh ! Peut-être ch’e l'avais déch'à entendue, peut-être ch'allais l'entendre encore, mais ch’était pas une putain de raich'on valable pour refuch'er vingt dollars à des copains fauchés, quoi ! Ou même dix ? Ou même ch'ept ? Ou  même  ch'inq ? Ou même trois ?   Ou même 1 dollar 75 pour prendre le trou du cul de métro. Et ch'i che lui en pach'ais un autre, ch'a f’rait d'mal à personne, quoi !

  Ch’e ne pouvais pas leur refuch'er ch'a ! Ch’e n’pouvais pas, quoi !

   

   Quoi que vous fassiez et qui que vous soyez, Noir ou Blanc, Jaune ou Rouge, Juif ou Arabe, femme ou homme, vieux ou jeune, laid ou beau, mince ou gros,  pauvre ou riche, cela ne fait aucune différence, vous ne pourrez pas échapper à la mort.

 

    Que vous soyez Crow, Ute, Apache, Pequot, Choctaw ou Séminole, Cheerokee, Yosemite, Shoshone ou Chippewa, où que vous alliez, quoi que vous fassiez, qui que vous soyez, l’amour est le même pour tous.

   Et que personne ne quitte la salle avant la fin de ma chanson.

 

 

   Un piquet de grève à l'extérieur. Très peu de monde à l'intérieur. Pancartes. Banderoles. Calicots.

   Linda s'énerve, agresse, explique :

   - Les artistes sont en grève, ma couille, ils ne veulent plus chanter, ils me demandent un pourcentage sur les recettes ! Tu te rends compte !

   Et Jodi :

   - Et moi, si je chantais pendant la grève, je devrais payer cinquante dollars au syndicat. Et pourtant, je n’suis qu’une serveuse !

   Elle se demande où trouver ça.

   Linda-patte-folle râle sec. Elle accuse le trésorier d'avoir volé six cents dollars dans la caisse du syndicat. Il se serait acheté une chemise à carreaux et deux nouveaux jeans. Il aurait offert à boire à des copains dans des bars et des clubs de billard.

   - On l'a vu, chez Charlie et ailleurs, j'te jure ! J'te raconte pas d'histoires, p'tit cul ! Et même qu'Eldridge s'est fait exclure du syndicat à cause de c'fumier !

   Il avait dénoncé le trésorier auprès des affiliés. Il avait rossé le gars en public. Il l'avait arrosé à l'extincteur d'incendie. Il lui avait cisaillé les bretelles au couteau. Il lui avait fait tomber le pantalon sur les talons.

   - En pleine rue, merde !

   Il lui avait craché en pleine gueule et botté les fesses devant tout le monde.

 

 

 

   Et moi, Manya, ch'étais un brave type, un type épatant, un type fortiche. Ch’étais un ami ch’inch’ère, un soutien préch’ieux, coalich’é fidèle, un allié ch’ûr dans la lutte du Bien contre les forch’es du Mal, moi !

   On m'avait à la bonne, moi ! Ch'étais un putain de patriote et de bon chrétien, moi ! On pouvait réellement compter sur moi !

   Ch'étais un vrai croich’é de la rach’e blanche, de la foi chrétienne et de la Libre Amérique, moi !

   Le Gouverneur m’a fait visiter sa résidence officielle. Et dans sa résidence, il y avait un chenil, une écurie, un héliport et une salle de musique.  Et dans la salle de musique, il y avait un piano.

   Et sur ce piano, les touches blanches étaient d'un côté et les touches noires de l'autre.

   Que cela vous plaise ou que cela ne vous plaise pas, les touches noires étaient d'un côté et les touches blanches de l'autre.

 

 

 

 

 

 

   Linda, c'est la patronne. 

   - J't'emmeeeerde !

   Agressive. Hargneuse.

   Mâchouillant un crayon ou une gomme ? Ou un buvard de LSD ?

   - J't'emmeeeeerde !

   Etranglant ses amants avec leur propre cravate ? Ou ses maîtresses ?

   - J't'emmeeeeeerde, p'tit cul !

   Linda-patte-folle s'indigne.

   - Ça fait une semaine que ça dure, ce bordel ! Et pour quel résultat ! On barbote tous dans le foutre maintenant ! Dans l'urine et dans les excréments ! On patauge, on patouille, on s’embourbe ! Du vrai guano ! Et ça, tu peux bien m'croire, ma couille, d'la bouse de vache, du lisier de porc, de la pisse de bouc et du gros crottin de cheval, il y en aura toujours assez pour tout l’monde !

   Et pourtant la grève n'est pas directement dirigée contre elle. 

   Et d'ailleurs, elle s'entend bien avec les grévistes. Sinon Eldridge ne pourrait pas chanter.

   - Tu comprends bien, p'tit cul, après tout c’qui s'est passé !

 

  2-5

 

   Limousine noire, à six portes, de plus de huit mètres de long, aux vitres fumées, roulant lentement, freinant brusquement, s'arrêtant au milieu de l'avenue, faisant marche arrière. Fenêtre s'abaissant.

   Le PDG demandant son chemin aux passantes.

   Discutant boulot avec Trixy, Mandy, Meg, Teri dont la robe s’ouvre jusqu’au nombrilet Ann-Wendy : nature des devoirs, qualité des services, tarif des prestations.

   - What's up, Sweety ? War against loneliness ? Look at me ! Do yuh want to marry me ? Choose me and be happy !

  

   Totalité de la scène discrètement filmée, dans l'obscurité, par Andy Myers, un chasseur d'images qui passe son temps derrière la fenêtre de sa cuisine, épiant les faits et les gestes des promeneurs et des glandeurs, observant les allées et les venues des dealers et des filles, surveillant les déplacements des limousines, des ambulances et des voitures de police, mâchonnant du chewing-gum à la nicotine, prenant des notes sur de petites fiches blanches ou quadrillées, pressant le déclencheur de son appareil, enregistrant sur cassettes les événements du quartier.

   Par curiosité. Pour ses archives personnelles. Pour alimenter ses fantasmes et entretenir ses névroses.

   Pour écrire un vrai roman. A l'ancienne. Noir comme la vie des hommes. Avec des agressions, des meurtres, des coups de matraque et des cassages de gueule, des poubelles renversées sur les trottoirs, des trafics de drogue, des viols et des kidnappings, des hamburgers et du ketchup, des nichons arrosés au champagne, des baskets sans lacets, des rockeurs et des rappeurs, des flics et des putains.

   Et pour revendre les copies de ses cassettes à tout chrétien intéressé qui remettra une offre raisonnable.

 

   Dow-Jones gagnant 82,42 points, à 9.818,77 points, établissant un nouveau record absolu en clôture.
   Incendie dans un dépôt d'épaves de voitures.

   Hululement des sirènes de pompiers.


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Profil



 Didier de Lannoy
 delannoydidier@gmail.com



Après avoir, au Congo, mis le feu à tous ses manuscrits comme on brûlerait ses vaisseaux, Didier de Lannoy, en rentrant de son très long séjour africain, s’est dit qu’il était temps désormais de retrouver le chemin de l’écriture.
Après quelques nouvelles publiées dans diverses revues et un premier roman dont le titre provocateur (« Le cul de ma femme mariée ») prouvait que son auteur n’avait pas l’intention de rejoindre le club des écrivains bien pensants, Didier de Lannoy rédigea une première version de « Jodi, toute la nuit » qui fut adaptée à la RTBF par Violaine de Villers. Lors de cette expérience radiophonique, la comédienne Yolande Moreau interpréta le personnage de Jodi que l’on retrouve avec infiniment de plaisir dans ce roman étrange à plusieurs voix dont le style semble s’improviser au rythme d’un blues obsédant...

Alain Brezault

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