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19 juillet 2010 1 19 /07 /juillet /2010 16:12

   

Ceci est l’histoire de Jodi. Thriller politico-érotique étatsunien, virtuel et mystique ? Pulp magazine en noir et blanc, snuff-movie ou BD japonaise ? Avec quelques noms-clefs. Pour surfer. Sur fond de bière et de whisky, de blues et de sundama, de hip-hop et de house, de crack et d’ecstacy, de trash music et de gangsta rap. Entre tout et rien, amour et perversité, clip et farce, puzzle et jeu de piste, manifeste et mascarade, cuistrerie et piraterie, collage et façadisme, branlette et muflerie, érotisme juvénile et délinquance sénile, stéréotypes et chausse-trapes, enchaînements funestes et contradictions grossières, aphasie et logorrhée, chewing-gum et pied de nez, lieux communs et faux-semblants, outrance belge et brosse à dent chinoise, désuétude et prémonition, conte noir et roman de fées, parodie et tragédie, cartoon et wildlife, strip-tease amateur et apparition mariale.

 

 

7-1

 

  Une voiture de police freine à ma hauteur, fait marche arrière et s'arrête le long du trottoir. Un flic à l'intérieur, presque poli, seul, me fait signe, m'interpelle, m'ordonne de m'immobiliser et de sortir les mains de mes poches, me demande d'approcher de la voiture.

   Ed Jaskar. Ou Mike Cooper. Ou un de leurs clones.

   - Hé ! Toi, là-bas, viens par ici ! Mains en l'air ! Bien visibles !

   - ...

   - Amène-toi ! Juste quelques p'tites questions à t'poser. Ça n'sera pas bien long.

   - ...

   - Et d'où tu viens, bordel ? Et où qu’tu vas comme ça ?

   - ...

   -  A c’t’heure-ci, bordel ? Faudra qu’tu m'expliques, bordel ? Et veux-tu bien monter dans la voiture, si ça t’fait rien, bordel ?

   Le flic me dit qu'il recherche quelqu'un.

   - Un type au teint hâlé, avec un gros naze, portant un paquet sous le bras, t'aurais pas vu quelque chose comme ça ?

   Le flic me demande qui je suis, bordel. Et comment je m'appelle.

   - ...

   - Mais c’nom là, Manya, où t'as pris ça, bordel ? C'est pas un nom de bon chrétien et d’vrai patriote, ça. Et d'où ça peut bien venir un nom comme ça ? Et comment ça s'écrit, c'nom-là, bordel?

   Et si j'ai des papiers qui prouvent c'que je raconte, bordel.

  - Retrousse tes manches et montre-moi tes bras ! Que j’voie si seulement t’es clean !

   Et depuis combien de temps je vis ici, si je suis ceci ou quoi, communiste, irakien, serbe, homosexuel ou musulman, ce que je pense du PDG.

   Le flic arrête sa voiture quelques rues plus haut, devant un drugstore 24 hours cambriolé par un drogué.

   Ou devant un hôtel minable, louant des chambres à des prostituées, accueillant aussi des couples non mariés, acceptant même la clientèle des suicidés pour autant que ceux-ci acceptent de payer leur chambre à l'avance, en argent liquide, deux nuits au lieu d'une. Et de régler le nettoyage de la moquette.

   A l'avance.

   En argent liquide.

   - Une tentative de hold-up, bordel !

   Lumières aveuglantes des voitures de patrouille. Scintillements bleus, blancs et rouges des gyrophares. Quelques curieux, terminent la nuit ou commençant la journée. Trixy et Ann-Wendy discutent boulot avec le passager d’une limousine. Un vieux mendiant, que tout le monde appelle Colonel Will. Condor de Californie à l’aile et aux pattes cassées, star du trottoir, héros du Vietnam, de l’Iraq, de la Somalie ou de l’Afghanistan, plusieurs fois blessé au combat, décoré de l'étoile de bronze et de la médaille d'honneur, amputé à la hauteur du coude droit, partiellement paralysé des membres inférieurs, asthmatique, portant deux jeans enfilés l'un sur l'autre, conservant précieusement dans son portefeuille une photo plastifiée sur laquelle il avait encore ses camarades de tueries et tous ses bras entiers, portant sur la tête une capote de piscine en plastique jaune-bleu, les doigts de la main gauche recouverts de dés à coudre, Colonel Will gratte distraitement une washboard passée en bandoulière.

   Trois employés censés pouvoir reconnaître l'agresseur. L'un d'eux hésite. Je lui adresse un  grand sourire, confit, craquelé. Mais les deux autres, bordel, hochent la tête négativement, comme à regret. Je ne corresponds pas à la description de l'homme recherché. J'aurais dû avoir une quarantaine d'années, les cheveux décrêpés et colorés en châtain.

 

   P’t-être ben que j’aurais dû m’appeler Sam Tucker. P’t-être ben que j’aurais dû porter un blouson de faux cuir sur le bras. Et un paquet dissimulé en dessous.

   - Des disques ou quelque chose comme ça, bordel !

   P’t-être ben que j’aurais dû être Black ou Native ou Portoricain ou Chicano ou Palestinien de Jénine ou Turc d’Emirdag ou Chinois de Harbin ou Colombien de Cali ou Equatorien de Guayaquil ou Congolais d’Iyele ou Togolais de Badja ou Afghan de Mazar-i-Sharif

   Vieux Jésus court sur le trottoir, hagard, claudiquant, n'arrêtant pas de se retourner et de regarder derrière lui. Pieds nus. Cul nu. En robe d'opéré. Le visage tuméfié. Les lèvres tremblantes.  Les mains emballées dans la gaze.

    Portant un bandeau sur l'oeil gauche, un pansement sur l'oreille droite et une espèce de mouchoir sur le visage, Vieux Jésus court, court, court, court, court, heurte un réverbère, trébuche sur un couvercle de poubelle.

- Are you all right ? demande Manya.

   Vieux Jésus s’arrête pile. Reprend son souffle pendant quelques secondes. Considère Manya avec étonnement et perplexité. Profite de l’occasion pour essayer de taxer quelques clopes au jobard.

   Manya n'en a plus, le dit au pépé et s'en excuse.

   - Désolé, Vieux !

   Vieux Jésus, complètement sonné, refuse de brouter l’herbe qu'on lui sert dans un foutu jus de limaces.

   - Et c'que tu crapotes en bouche, Petit, c'est quoi ça alors, nom de Dieu ? Une tétine, un sucre d'orge ou la bite de ta chochotte de frangin ?  Tu t’fous de ma gueule ? Ou quoi, ou quoi, ou quoi ? J’aime pas tes salades !

   Manya essaye d'expliquer que cette cigarette-là, celle-là même qu'il est en train de fumer, eh bien que c'est sa dernière ! Et qu'il vient d'achever son paquet ! Et que, et que, et que !

   - Désolé, Vieux !

   Le pépé grommele, crachote, essaie de se donner un air menaçant.

   - Sperme de Dieu ! Foutre d'enfer ! Coeur de bite !

   Manya retourne ostensiblement les poches de ses jeans.

   - Désolé, Vieux ! Que de la poussière !

   Cheveux flottant sur les épaules , taches rouges sur les paupières et les joues, pectoraux tatoués, furonculose aux mains, traces de gnons sur la gueule, Vieux Jésus continue de grogner, baragouine, gronde sous son suaire.

   Respiration bruyante et précipitée. Propos inaudibles et incohérents.

   Manya ne pige que dalle à ce qu’on lui raconte.

   - Mais qu'est-ce que tu m’ dis ? On n’t’entend pas ! Enlève ton putain de masque à la con ! Tu ne fais peur à personne !

   Que dalle. Puis, tout de même, en forçant, quelques phrases :

   Vieux Jésus n'a besoin de rien, lui. Il a une belle maison, lui. Il a plein de potes, lui. Il travaille, lui. Il a toute un clan d’apôtres qui rackettent, pour lui, nom de Dieu. Il a une gourmette en argent et une montre en or, lui. Il gagne dix mille dollars par semaine, lui. Il est riche, lui. Il est jeune, lui. Il est beau, lui. Il est mince, lui. Il est Blanc, lui.  Il n'a besoin de personne, lui. De personne, de personne, de personne… Il n'a pas besoin de ces cochonneries de cigarettes à la con, nom de Dieu. Il s'envoie en l'air au shit, à l'héro ou à la coke, lui…

   Le pépé menace d'assommer un cloporte à l'aide d'un os de dinosaure, de décapiter une fourmi avec une hache de bûcheron, de faire exploser un saleté d'iguane dans un four à micro-ondes. Gronde. Fulmine. Vocifère.

   Puis ravalant la bave qui lui sort de la bouche, invoquant les Evangiles et quelques prophètes.

   - Oh! dis, Petit, t'aurais pas une pièce ? T’pourrais pas m’passer une dime? Un quarter ? Un dollar ? C'est pour boire un café. C’'est pour, c'est pour, c'est pour, c’est pour…

   Manya lui tend une pièce. Vieux Jésus la lui arrache des doigts.

   - J’n'ai pas besoin de ton sale pognon de merde, nom de Dieu. J'suis un patriote, moi. J'suis un chrétien, moi. J' suis un bon citoyen américain, moi ! J’n'ai besoin de personne, moi ! De personne, de personne, de personne, de personne …

   Le pépé s'enfuit. Grommelle. Poursuit sa course. Sur le trottoir. Hagard. Claudiquant. N'arrêtant pas de regarder derrière lui. Courant à reculons. Pieds nus. Cul nu. En robe d'opéré.

   Il se retourne encore et lance une dernière insulte à Manya.

   - Et d'ailleurs, Petit, t'es même pas beau !

 

 

 

 

7-2

 

   Snack ouvert jour et nuit.

   Aux environs de la gare routière.

   Un bus à prendre en début de matinée.

   Un voyage dans le Sud.

 

   Bruit indistinct du moteur cra-

   cho-

   tant au

   ralenti d’

   une voiture par-

   quée en position d’at-

   taque à

   un Blo-

   ck d’

   ic-

   i.

 

   Sodas. Sandwiches. Hamburger et café. Ketchup et moutarde. Tabasco.

   Au comptoir on a le droit d'être seul ou pressé. Ça coûte moins cher et le pourboire n'est pas obligatoire.

   Clignotements des publicités au néon. Essoufflements et vrombissements d’un vieux ventilateur.

   Manches retroussées, engagé pour ses tatouages, ancien figurant de clips publicitaires et de sitcoms ringardes, souffrant de l'épaule et d'une tendinite chronique du coude, ayant du savon dans les yeux et de l'eczéma sur la paume de la main droite, plus maussade que hier et moins maussade que demain, le caissier-serveur, Vince Hutchinson, vient de prendre son service, se frotte les paupières, bâille et s'étire, sortant à peine de sommeil ou tombant déjà de fatigue, exhibant une licorne, une ancre, une truie sodomisée par un hippopotame, un profil de rapace patriotique et un crotale belliqueux dessinés sur l'omoplate et le haut du bras, aux couleurs de la bannière étoilée.

   - Protection contre le mauvais oeil !

 

   Manya s'enferme dans les toilettes, sort un billet qu'il avait caché à l'intérieur de ses chaussettes ou dans une poche secrète cousue au fond de son caleçon, retourne au comptoir, se commande un café et demande qu'on lui fasse la monnaie de cent dollars, qu'il puisse s'acheter un autre paquet de clopes.

  "Que cela vous plaise ou que cela ne vous plaise pas, les touches noires étaient d'un côté et les touches blanches de l'autre..."

   Encore engourdi par le froid de la nuit, buvant son café, brûlant, mousseux, léger, fumant une cigarette en vitesse, cherchant à savoir s'il doit être de bonne humeur ou de mauvaise humeur, Manya regarde Vince Hutchinson glisser une nouvelle bande dans son lecteur de cassettes.

   « Que vous soyez starlette ou escort-girl, épouse ou maîtresse du gouverneur, serveuse ou chanteuse, cela ne fait aucune différence, l’amour est le même pour tous...

   « Qui que vous soyez, bouseux de Wachita Falls ou banlieusard de Long Beach, portier d’hôtel Indien ou taxi driver Haïtien, quoi que vous fassiez, où que vous alliez, vous ne pourrez pas échapper à la mort..."

   Fumant une cigarette, cherchant à savoir s'il doit être de bonne humeur ou de mauvaise humeur, écoutant une radio locale, s'appuyant sur les avant-bras, Manya croit reconnaître la voix d'Eldridge.

   « Que cela vous plaise ou que cela ne vous plaise pas, que vous m'écoutiez ou que vous ne m'écoutiez pas, que me croyiez ou que vous ne me croyiez pas, le gouverneur m'a bien reçu...

   «  Que cela vous plaise ou que cela ne vous plaise pas, que vous me croyiez ou que vous ne me croyiez pas, le gouverneur me trouvait sympathique, il m’a serré la main en grignotant des bretzels au fromage et en suçant son cure-dents. Il m'a présenté sa femme mariée, ses lévriers afghans, ses chevaux arabes, son chat iranien, son administrateur d’entreprises texanes en Iraq, son chef de la police, son télévangéliste, son préparateur physique et son psychanalyste, son conseiller en placements financiers et son bookmaker, son courtier d’assurances et ses lawyers, son attaché de presse, ses griots et ses courtisans, son chirurgien-plasticien et son prothésiste dentaire, ses azalées et ses camélias, ses maîtresses et ses charmantes jeunes filles, ses voitures et son hélicoptère, ses héliotropes et ses philodendrons. Il a organisé une party en mon honneur dans le parc de sa résidence officielle...

   "Vaste et somptueuse...

   "Et au pied de sa résidence s'étendait un magnifique jardin public...

   "Vaste et somptueux...

   "Et au fond de ce jardin il y avait un cimetière...

   "Vaste et somptueux...

   "Et dans ce cimetière il y avait une grille...

   "Et derrière cette grille..."

 

   Un peu plus loin, au carrefour, un moteur s’emballe, des pneus crissent. Une voiture démarre brutalement. Parcourt environ deux cent mètres. Opère une brusque marche arrière. Recule à toute vitesse sur une vingtaine de mètres. Monte sur le trottoir. Puis s'ar.

   Rête pile.

   Les portes s'ouvrent. Des ombres surgissent.

   Cinq crapules.

   "Les morts noirs étaient d'un côté et les morts blancs de l'autre..."

   Casquettes retournées. Cols relevés jusqu'au menton. Combat-boots. Jeans délavés. Cheveux décolorés. Grandes oreilles décollées. Pupilles dilatées. Anneaux sur les paupières et la langue. Visages peinturlurés à la crème de camouflage. Couilles brûlées.

   "Les morts blancs étaient d'un côté et les morts noirs de l'autre".

   Ecouteurs sur les oreilles. Cellulaires au ceinturon. Bagues aux doigts. Bracelets de force cloutés. Canettes de bière. Trash music. Kystes au cerveau. Cannabis dans les urines.

   Une meute de jeunes voyous

   échines hérissées, têtes baissées, queues basses, regards floutés

   surgit de nulle

   - Tu vas payer pour tout !

   part.

 

   Une fille pousse un cri.

   - Ça va être ta fête ! Tu vas le sentir passer !

   Une fille huuurle ! Qu'on appelle la police ! Et qu'elle est kidnappée !

   Et qu'elle s'appelle Jodi.

   - Jodi ?

   Manya se précipite.

   - Stooooop !

   Clef dans le dos. Couteau sur la gorge ou pointé sur le coeur. Coups de poing dans le bas-ventre. Coup de tête.

   Manya se retrouve par terre. Se débat. Rageusement. Se débat. Furieusement. Se débat. Se débat. Se dé-

   bat.

   - Où est-elle, nom de Dieu  ?

   - Fini de ch'ouer, trouduc ! Revenge ! Enduring freedom !

   - Où est-elle ? Où est Jodi ? Qu’en avez-vous fait ?

   - On va bien ch'occuper d’vous deux maintenant ! A donf ! On va vous brich'er les os, on va vous couper les lèvres, on va vous dévider les tripes, on va vous travailler à la fraich'e et au chalumeau, on va vous enterrer dans un ch'imetière pour chiens !

   - Où est Jodi ? Où est-elle ? Vous en avez fait quoi ?

 

   Ruban adhésif renforcé « duct tape » plaqué sur la bouche. Lacet de cuir passé autour du cou.

   - Qu’est-ce qu’on fait maintenant, Jimmy ? s'excite Don Cobb, un rouquin boutonneux, surnommé l’étrangleur. Je serre ? Je serre ?

   Trapu, bandé, la caboche en triangle, les petits yeux sournois, Jimmy lève la main et calme le jeu.

   - Mais non, trouduc, pas tout de ch'uite ! Ch'a peut attendre ! Y n’faut ch'amais rien bruch'quer, quoi ! Ch'inon tu rich'ques de nous gâcher la teuf, quoi !

   - Mais comment ça, l’artiste ? se désole Tim Garner, dit le Connard.

   - La putain de viande, ch'a ch’travaille auch'i longtemps qu'ch'a rech'pire, connard ! Tu lui arraches les pipettes au moment même où tu ch'ouis, ch'amais avant, connard ! siffle et chuinte Jimmy-la-vipère, complètement enragé, boîtillant, la gueule toute esquintée par Bill Parker et ses motards, ouvrant son couteau à cran d’arrêt et en aiguisant la lame.

   - Mais pourquoi ça, l’artiste ? s’inquiète Tim Garner.

   - Ch'i tu fais ch'a trop tôt, tu n'peux plus rien tirer d'la bête, connard ! ricane Jimmy, tripotant compulsivement son piercing à l'oreille, se caressant les couilles, se décoinçant les roustons pour préserver la qualité de ses spermatozoïdes blancs étatsuniens protestants intégristes et isolationnistes.

   Manya se démène, remue bras et jambes, tente de se relever.

   Un des jumeaux, Adam Abbott, lui assène un coup de démonte-pneu sur la nuque et

   - Knock-out !

   lui défonce salement la boîte cranienne et

   - Du calme, quoi !

   se fait, à son tour, méchamment engueuler par Jimmy.

   - Du calme, merde, quoi ! Y faut qu’le mec, il ait l'occach'ion de ch’rendre compte de ch’qui lui arrive, quoi ! Y faut qu'il ch'ente ch'a douleur, quoi ! Qu'il ait tout l'temps d'avoir mal, quoi !

   - S'cuse-le, Jimmy ! intervient l’autre jumeau, Richard Abbott.

 

   - Allez, on ne traîne pas ich’i, les mecs, on ch'tire! ordonne Jimmy qui

   saisit Manya par les épaules et, avec l’aide de ses potes

   - Aidez-moi, quoi !

   le balance à l'arrière de la bagnole, par terre, entre les sièges avant et

   - Viiite !

   arrière, à côté de Jodi. Entravée. Muselée. Gardée par un pitbull aux crocs menaçants.

   - Mais pourquoi qu’on leur fait pas la fête tout d’suite, l’artiste ? Pourquoi qu’on les dessoude pas sur le champ ? s’étonne Tim Garner.

   - La viande qui rech'pire encore, ch'a ch’conch'erve plus longtemps qu'une charogne surch'elée, connard ! explique-t-il. Et ch'a rèch'te flèc'ch'ible, connard ! Ch'a prend moins d’plach'e, ch'a continue d’obéir aux ordres et ch'a ch’tranch'porte plus fach'ilement qu'un trou du cul de rouleau de tapis ou qu'un putain d’ch'ercueil en plastoche, connard !

   - Sûr qu't'as raison, Jimmy ! dit Adam Abbott.

   - Y faut vraiment tout vous dire, têtes de noeud !

   - T'as un putain d'talent, Jimmy ! T’es toujours le meilleur! dit Richard Abbott qui lève les deux pouces en l’air. Vigoureusement.

   - Vive nous !

   En signe de victoire.

 

   Le caissier du snack, Vince Hutchinson, ayant, de loin, assisté à l'enlèvement.

   Et glissant une dernière bande dans son lecteur de cassettes, une

   - I put a spell on you !

   chanson de Screamin'Jay Hawkins interprétée par Nina Simone. A la mémoire d’une très grande chanteuse dont la mort vient d’être annoncée. Aux news. Quelques heures plus tôt.

   Peu disposé à témoigner de quoi que ce soit, à reconnaître qui que ce soit. Et ne souhaitant qu'une seule chose: que tout se passe comme si rien ne s'était jamais passé.

   - Let the good times roll !

 

   Totalité de la scène discrètement filmée, dans l'obscurité, par Andy Myers, chasseur d'images, hémiplégique, pervers et rancunier, dont les doigts manquent encore de fermeté, insomniaque et obstiné, qui passe son temps derrière la fenêtre de sa cuisine, épiant les faits et gestes des promeneurs et des glandeurs, observant les allées et venues des dealers et des filles, surveillant les déplacements des limousines, des ambulances et des voitures de police, mâchonnant du chewing-gum à la nicotine, prenant des notes sur de petites fiches blanches ou quadrillées, se curant le nez, se masturbant dans une vieille chaussette de flanelle noire, s'enfonçant une brosse à dents électrique dans l'anus, pressant le déclencheur de son appareil, enregistrant sur cassettes les grands et petits événements du quartier à l'aide d'un tout nouveau caméscope, fraîchement tombé du camion, équipé d'un stabilisateur d'image pour corriger les vibrations provoquées par les tremblements de la main.

   - Indispensable pour obtenir un bon résultat ! Surtout lorsqu'on utilise le zoom !

   - Cut it off !

 

   Dow-Jones dépassant la barre des 10.000 points.
   Incendie dans un dépôt d'épaves de voitures.

   Hululement des sirènes de pompiers.

 

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Profil



 Didier de Lannoy
 delannoydidier@gmail.com



Après avoir, au Congo, mis le feu à tous ses manuscrits comme on brûlerait ses vaisseaux, Didier de Lannoy, en rentrant de son très long séjour africain, s’est dit qu’il était temps désormais de retrouver le chemin de l’écriture.
Après quelques nouvelles publiées dans diverses revues et un premier roman dont le titre provocateur (« Le cul de ma femme mariée ») prouvait que son auteur n’avait pas l’intention de rejoindre le club des écrivains bien pensants, Didier de Lannoy rédigea une première version de « Jodi, toute la nuit » qui fut adaptée à la RTBF par Violaine de Villers. Lors de cette expérience radiophonique, la comédienne Yolande Moreau interpréta le personnage de Jodi que l’on retrouve avec infiniment de plaisir dans ce roman étrange à plusieurs voix dont le style semble s’improviser au rythme d’un blues obsédant...

Alain Brezault

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